Regard d’ingénieur – essai

Un développement exponentiel – Des conséquences vertigineuses

Le métier d’ingénieur s’est développé dans un monde physique pensé comme infini et non contraint. La consommation d’énergie primaire, d’engrais, de transports, de télécommunications et bien d’autres ont pris une trajectoire exponentielle depuis les années 1950. Les contraintes étaient plutôt de l’ordre économique, à savoir des contraintes financières, de rentabilité, de marketing, liées au marché. A l’inverse de cette grande accélération, qui a permis une augmentation conséquente de notre niveau de vie, nous assistons à la grande perturbation, qui est elle aussi caractérisée par son lot de courbes exponentielles : augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et des températures, recul de la biodiversité, diminution des forêts tropicales, acidification des océans. Avec nos activités, nous avons tout déréglé dont les grands cycles biogéochimiques soutenant la vie (carbone, eau, azote,…)  mettant ainsi en péril les conditions d’habitabilité de l’homme, et de bien d’autres espèces, sur terre. Rien que ça, c’est vertigineux.

Ouvrir le regard de l’ingénieur, aller au-delà de la technologie

C’est dans ce contexte que le métier d’ingénieur doit évoluer aujourd’hui. Alors que notre modèle sociétal arrive à bout de souffle, Il faut préparer le monde de demain. Alors que jusqu’ici, le rôle de l’ingénieur était plutôt concentré sur les technologies et aux moyens scientifiques et techniques pour les développer, il est urgent que son rôle prenne de la hauteur et de la largeur. Un nombre croissant d’ingénieurs se sentent aujourd’hui personnellement très soucieux et concernés par les enjeux environnementaux et sociaux et subissent une forte dissonance quant à leur prise en compte dans leur entreprise. Ceci peut engendrer une perte de sens pouvant conduire à la désertion, qui devient alors une question de survie pour leur santé mentale. Se préparer au monde de demain, c’est une occasion de remettre du sens dans sa vie professionnelle. Un certain nombre de nos activités vont devoir être redirigées dans les années à venir car elles ne sont pas compatibles avec les limites planétaires. Afin que cela puisse se passer de façon démocratique, anticipée et non brutale, des espaces de discussions sont nécessaires, notamment au cœur des entreprises. Les ingénieurs, qui ne connaissent mieux que personne leur entreprise et leur métier, ont toute leur place pour réfléchir à ces questions. Ici, il ne s’agira pas de travailler que sur les moyens, à savoir verdir une activité, mais de se questionner sur cette activité en elle-même. A quel besoin répond cette activité ? Qui dépend d’elle? Pourquoi sommes-nous attachés à cette activité ? Comment serait-il possible de répondre à ce besoin autrement? Aujourd’hui, face à un problème, nous avons le réflexe du technosolutionnisme, de la solution technique. En ouvrant des espaces de réflexion pluridisciplinaires, les ingénieurs et l’ensemble des salariés d’une entreprise, venant d’horizons variés, dont les sciences humaines, pourront valoriser leur expérience et leurs savoirs et trouver une réponse à leur problématique.

Un nouveau référentiel de pensée pour un monde déjà en mutation

Les effets de l’anthropocène commencent à se faire sentir, les stations de ski manquent cruellement de neige, les collectivités se posent la question du maintien de certaines infrastructures comme les piscines, des entreprises ont mis en pause leur activité en raison de l’augmentation des prix de l’énergie. Dans ce futur complexe, incertain et non linéaire, la responsabilité et le rôle de l’ingénieur a toute sa place : développer une ingénierie du prendre soin et de la maintenance pour les activités à maintenir ; créer une ingénierie de la fermeture si nécessaire. Il s’agit également de se poser la question de ce que nous développons actuellement afin d’éviter de faire advenir des futurs que l’on sait déjà obsolètes dans un monde fini.

Les contraintes sociales et environnementales sont jusqu’ici plutôt vécues dans les entreprises comme des freins. Ne faudrait-il pas les prendre au contraire comme  des défis et comme de belles opportunités pour changer les choses en profondeur et pour se diriger vers quelque chose qui a du sens ? Changer de prisme pour rediriger les activités des entreprises, changer les modèles économiques et définir de nouveaux indicateurs de succès.


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